Amiante. Préjudice d’anxiété pour tous
La voie à l’indemnisation du préjudice d’anxiété pour tous les travailleurs exposés à l’amiante est désormais ouverte. Et ce depuis un récent arrêt de la Cour de cassation. Le commentaire de cet arrêt par Maître Emmanuelle Pohu, avocat au Barreau de Lyon.
Les faits
Un salarié, rondier, chaudronnier et technicien, a saisi la juridiction prud’homale afin d’obtenir la condamnation de son employeur à lui verser des dommages et intérêts en réparation de son préjudice d’anxiété et pour manquement à l’obligation de sécurité de résultat. Il estimait en effet avoir été exposé à l’inhalation de fibres d’amiante dans le cadre de son activité professionnelle. Alors que la société employeur ne figurait pas sur la liste des établissements visés par la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, la Cour d’appel de Paris a accueilli la demande de ce salarié et a condamné l’employeur à lui payer des dommages et intérêts à hauteur de 10.000 €. L’employeur a formé un pourvoi en cassation.
La décision
Opérant un revirement de jurisprudence, la Cour de cassation confirme la décision de la Cour d’appel et accepte de reconnaître le droit pour un salarié dont l’employeur ne figure pas sur la liste des établissements visés par la loi n° 98-1194, de faire valoir son préjudice d’anxiété au titre de son exposition à l’amiante sur le fondement d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. La Cour de cassation précise qu’il appartient au salarié de justifier de son exposition à l’amiante générant un risque élevé de développer une pathologie grave. Elle précise que l’employeur peut s’exonérer de sa responsabilité en apportant la preuve qu’il a mise en œuvre des mesures pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Enfin, le salarié doit justifier de son préjudice propre.
La motivation
La Cour de cassation explique la motivation de ce revirement de jurisprudence par le développement important du contentieux concernant des salariés exposés à l’amiante mais ne relevant pas des dispositions de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998. Elle rappelle en effet que cette loi a créé un mécanisme de départ anticipé à la retraite pour les salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l’amiante figurant sur une liste établie par arrêté ministériel et que ces mêmes salariés se sont vus reconnaître le droit d’obtenir réparation d’un préjudice spécifique d’anxiété au titre de leur exposition à l’amiante. Les salariés ne relevant pas de la loi n° 98-1194 n’étaient jusqu’alors pas admis à voir reconnaître et réparer leur préjudice d’anxiété.
Le commentaire
L’Assemblée plénière de la Cour de cassation adopte une solution attendue par les victimes de l’amiante, syndicats et associations de victimes. La possibilité de voir reconnaître son préjudice d’anxiété est désormais ouverte à tous les salariés quelle que soit l’entreprise dans laquelle ils ont pu travailler. Le préjudice d’anxiété a été consacré par la Cour de cassation en 2010. Il s’agit de réparer le préjudice tenant à l’inquiétude permanente dans laquelle les salariés sont plongés par le risque de développer une maladie liée à l’amiante. Ce préjudice n’était cependant reconnu qu’aux salariés ayant travaillé dans une entreprise mentionnée à l’article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, c’est-à-dire les établissements de fabrication de matériaux contenant de l’amiante, des établissements de flocage et de calorifugeage à l’amiante ou de construction et de réparation navales. Il est apparu que, si l’amiante a été interdite en 1997, ses effets sur la santé perdurent, et pas seulement pour les salariés des entreprises de fabrication. C’est la raison de ce revirement de jurisprudence. Et c’est sur le fondement du droit commun de l’obligation de sécurité de l’employeur que l’action des salariés pourra être admise et aboutir à l’allocation de dommages et intérêts.
Pour autant, la Cour délimite les conditions de l’indemnisation. Il appartient, bien évidemment et en premier lieu, au salarié de justifier de son exposition à l’amiante, exposition générant un risque élevé de développer une pathologie grave. En second lieu, la Cour expose que la preuve de l’exposition ne suffit pas à retenir le manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur. En effet, la Cour rappelle que l’employeur peut justifier des mesures prises pour assurer la sécurité et protéger la santé de ses salariés afin de s’exonérer de sa responsabilité. La Cour d’appel avait écarté cette possibilité à l’employeur en retenant que l’exposition à l’amiante étant acquise le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité était lui-même établi. Ce raisonnement est censuré par la Cour de cassation. L’employeur qui justifiera avoir pris des mesures de protection pourra s’exonérer de toute responsabilité. Enfin, la Cour de cassation rappelle que le salarié doit justifier du préjudice personnellement subi afin de permettre aux juges du fond d’en évaluer le montant de réparation.
> Les points-clés :
• Le préjudice d’anxiété concerne tous les salariés exposés à l’amiante et risquant de développer une maladie grave,
• L’employeur peut s’exonérer de sa responsabilité s’il a pris des mesures,
• Le salarié doit justifier du préjudice personnellement subi.