Allongement du temps de travail : Une opportunité pour les préventeurs
Et si l'allongement du temps de travail était une opportunité pour appliquer le premier principe général de prévention ?
La réforme des retraites conduit à allonger le temps de travail. La pénibilité de certaines activités et donc de certains métiers est alors un sujet encore plus prégnant à prendre en compte par les employeurs afin d'exercer correctement leur obligation générale de sécurité. Naturellement, il ne faut pas oublier l’obligation générale de l'employé lui demandant, notamment, de respecter les consignes reçues pour exercer correctement les tâches qui lui sont attribuées.
Des textes existent, pour beaucoup assez récents, sur ce sujet de la pénibilité avec des critères qui ont été instaurés, revus, corrigés, pour tenter de prendre en compte, dans une logique plutôt réparatrice, ce sujet. En effet, l'idée générale de la réglementation sur ce point est de capitaliser des temps d'exposition pour pouvoir anticiper un départ à la retraite, sans que l'usure du corps n'ait été réellement évitée. En passant, il est intéressant de noter que certains régimes particuliers de retraite (dont le politique agit manifestement pour leur suppression) avaient dès l'origine inclus la prise en compte d'une forme de pénibilité pour précisément offrir un temps de retraite dans des conditions un peu meilleures aux salariés qui manifestement avaient pendant leur carrière été soumis à des activités pénibles. Même si le système n'était pas parfait, il aurait pu servir de base de réflexion dans les différentes réformes qui viennent de se succéder concernant le régime général.
Eviter le risque
Mais au-delà de ces textes réglementaires, n'est-ce pas le temps d'engager une réflexion, dans les entreprises assurément, voire au niveau des branches professionnelles, pour appliquer au mieux le premier principe général de prévention : « éviter le risque » ?
Eviter le risque, en parlant de pénibilité, se traduirait par l'évitement, en tous les cas un amoindrissement très sensible, de l'usure corporelle des salariés soumis à des activités dites « pénibles ».
Dès lors, l'idée générale serait d’identifier les activités qui ont manifestement un niveau de pénibilité important et donc avoir un impact dans la durée sur l'organisme et la santé des salariés à qui elles sont confiées. Et de définir les métiers qui doivent relever d'une approche Ressources Humaines pour anticiper et amoindrir, sinon éviter, ses effets redoutés. Naturellement, au-delà de l'aspect RH pur, le préventeur est un allié précieux pour l'évaluation des risques. Ses métiers ainsi identifiés, pour chacun d'eux, serait précisé le temps maximum d'occupation afin d'éviter, en tout cas amoindrir très sensiblement, l'usure et l'atteinte à la santé des salariés pressentis pour les occuper. Cela conduirait alors contractuellement à définir un temps maximum d'occupation de certains métiers pénibles avec dès l'origine une anticipation sur un changement de poste, voire une reconversion, afin que de gérer au mieux l'adéquation entre la pénibilité du poste, celui qui l'occupe, et la recherche de l'atteinte minimum à sa santé. Ce type de réflexion, qui a déjà été menée dans certaines entreprises, dépasse très largement le seul aspect santé sécurité au travail. En effet il n'est pas rare que les postes « pénibles » soient également l'objet de rémunérations complémentaires ou d’avantages (par exemple : annualisation du temps de travail , régime de paiement des heures supplémentaires, primes de déplacement, indemnité de repas, mise à disposition de véhicules de la société,…). Dans ce cas il appartient à la réflexion anticipatrice d'intégrer ces aspects financiers afin de trouver et d'offrir, lorsque la durée maximum définie d'occupation du poste « pénible » sera atteinte, une gestion intelligente de la perte éventuelle de pouvoir d'achat, liée aux éléments précités, que subirait le salarié qui se verrait proposer un poste différent, pour rechercher une exposition à un niveau de pénibilité beaucoup plus faible.
Cette réflexion, comme évoquée auparavant, peut se mener évidemment au niveau des entreprises concernées, et probablement de façon plus générale et cohérente au niveau des branches professionnelles.
À l'heure où certains politiques lancent l’idée de « rémunération tout au long de la vie », cela ne pose-t-il pas la question d'un changement complet de paradigme ?
Une approche différente ?
Ne faut-il pas imaginer une approche complètement différente de ce que l'on connaît aujourd'hui ? À savoir que plutôt d'imaginer une rémunération tout au long de la vie identique et générale quels que soient les formations initiales, les parcours professionnels, les problématiques de santé sécurité au travail et l'état de santé au moment du départ en retraite, ne faudrait-il pas au contraire décider d'avoir une approche par branches professionnelles ?
Dans ce nouveau paradigme, chaque branche professionnelle pourrait définir, dans un contexte donné (donc éventuellement modifiable lorsque le contexte change) sa relation à la formation initiale (par exemple : compagnonnage, apprentissage, contrat de préembauche, accompagnement financier), définir les salaires d'embauche et les possibilités d'évolution, et mettre en place son système de retraite dédié (depuis plus de 50 ans certaines industries l’ont fait avec succès et sans connaître de problématiques de financement). Naturellement il restait imaginer comment gérer le passage d'une compte professionnel à une branche professionnelle : la notion de capitalisation du temps passé est en première approche une idée séduisante.
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Capitalisation du temps passé : une approche séduisante ?
Une telle approche donnerait plus de latitude aux branches professionnelles pour gérer leur attractivité, améliorer la formation initiale et les compétences opérationnelles de leurs futurs salariés, mieux fidéliser leurs employés, mieux gérer les parcours professionnels et les problématiques de SST, et offrir des conditions de départ à la retraite plus en adéquation avec les attentes sociétales actuelles. Nous ne partons pas de rien puisque que déjà certaines idées évoquées ont trouvé une concrétisation dans certaines entreprises/branches professionnelles.
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A RETENIR
Certains régimes particuliers de retraite avaient dès l'origine inclus la prise en compte d'une forme de pénibilité pour offrir un temps de retraite dans des conditions un peu meilleures aux salariés soumis à des activités pénibles.
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CITATION
« Plutôt qu’imaginer une rémunération tout au long de la vie identique et générale quels que soient les parcours pros, les problématiques SST, l'état de santé au moment de la retraite…, ne faudrait-il pas au contraire décider d'avoir une approche par branches professionnelles ? »
Dominique Vacher, président de DVConseils.
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